« Desserte environnementale » de l’Aéroport Beauvais-Tillé : Intervention de François Veillerette en session

Monsieur le Président, chers collègues,

Cette délibération, que notre groupe politique votera, contient un projet d’aménagement environnemental de la desserte de l’aéroport de Beauvais Tillé, dans l’Oise.

Ces travaux prennent place dans le cadre du Contrat de développement Oise-Picardie 2008-2013, plus précisément dans le cadre de la priorité 1 intitulée « promouvoir un développement territorial équilibré et durable ».

Si il n’est bien sûr pas question de remettre en cause ces travaux, prévus de longue date antérieurement à la constitution de notre majorité régionale, ce projet appelle cependant de la part de notre groupe politique un certain nombre de remarques.

Tout d’abord, l’usage des mots « durable » et « environnemental » pour qualifier cette opération qui consiste avant tout à accompagner le développement de cet aéroport, développement qui ne se fait pas sans impacts….sur l’environnement globalement et localement, appelle de notre part un certain nombre de commentaires.

Dans son célèbre roman ‘1984’, Georges Orwell nous montre comment la novlangue , langue officielle d’Océania, déforme le langage afin de rendre impossible l’expression des idées potentiellement subversives et d’éviter toute formulation de critique. Au-delà de ce roman, les techniques de la novlangue se sont depuis affinées grâce aux techniques modernes de la « communication » et l’expression est même passée dans le dictionnaire, puisque le Larousse la défini comme un : « Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité. » Dénaturer la réalité ? Comment mieux déformer la réalité qu’en désignant une chose par son contraire ? Comme le dit justement le chercheur de l’INRA Jean Pierre Berlan, à propos de la novlangue employée par le lobby des OGM : « En vidant, détournant ou inversant le sens des mots, il s’agit de rendre impossible de penser la réalité ». Ici, justement, nous avons bien une inversion du sens des mots qui, par un tour de magie laisse à croire qu’un aéroport, par essence source de pollution, serait favorable à l’environnement et ‘durable’. Est-ce par volonté d’empêcher le public de penser et voir la réalité ? Appelons donc un chat un chat et ayons le courage de dire et d’écrire qu’il s’agit dans ce projet de favoriser l’arrivée de voyageurs toujours plus nombreux à l’aéroport de Beauvais en aménageant une route ! Ça vous parait peut être banal mais nous pensons qu’ainsi les choses sont plus compréhensibles et surtout sans ambiguïté.

Que les choses soient claires à ce stade : le groupe EELV n’est pas à priori contre les aéroports, pas plus que nous ne sommes contre l’électricité, les antibiotiques, la télévision, la médecine, l’ordinateur ou je ne sais quel autre progrès technique. J’ai bien dit « à priori » car il n’est par exemple pas interdit de réfléchir sur les bienfaits réels des antibiotiques quand on les utilisent trop et qu’on engendre ainsi des résistances dramatiques pour la santé publique ou encore de savoir si certains programmes de télévision particulièrement abrutissants contribuent réellement à l’épanouissement de l’espèce humaine. Tout est donc dans la nuance et le dosage en matière de technologie. Car toute technique peut être bienfait ou nuisance, selon l’usage que les hommes en font. Vous le savez bien, EELV n’est pas à priori contre l’aéroport de Beauvais Tillé, mais, là aussi la

nuance est d’importance, EELV est pour un plafonnement du trafic de Beauvais Tillé et pas pour une croissance dictée par la seule volonté des compagnies low-cost qui y opèrent (avec des pratiques sociales très critiquables par ailleurs !). Pour mémoire, le trafic de cet aéroport a doublé en 6 ans et continue de s’accroître. Pouvons-nous continuer ainsi longtemps, sans que l’action publique impose une maîtrise, à favoriser ici des voyages aériens polluants à prix cassés et de fait subventionnés alors qu’aujourd’hui même le Groupe International d’Experts pour le Climat publie son 5eme rapport d’évaluation sur le Climat et que les nouvelles ne sont pas bonnes ? Pouvons-nous faire comme s’il n’y avait aucun rapport entre ce que nous faisons ici et ce qui se passe globalement au niveau du climat, comme si il n’existait aucune relation de cause à effet, même partielle, entre un usage immodéré de l’avion ici et la perturbation du climat partout sur la terre ?

Perturbations du climat : que nous dit le GIEC aujourd’hui sur le climat justement ? Que le réchauffement climatique en cours est à 95% de chance dû aux activités humaines (pour mémoire les précédents rapports estimaient cette probabilité à 50% seulement en 1995et 66% en 2001). Que le réchauffement se situera dans une fourchette entre 2.6° et 4.8° ! Que l’élévation du niveau des océans à la fin du siècle pourra aller jusqu’à 82 cm et non 59 cm comme prévu il y a seulement 6 années. Que certains experts parlent même d’un mètre cinquante ! Ne nous mentons pas : cela aura des conséquences dramatiques ! Une hausse de 50cm du niveau de la mer conduirait au déplacement de 3.8 millions de personnes dans le delta du Nil. Une étude montre que les 136 villes côtières les plus importantes du monde pourraient souffrir des pertes cumulées de + de 730 milliards d’Euros d’ici 2050 ! Ces coûts, qui s’ajouteront à des souffrances humaines inchiffrables, et qui ne concernent que les seules conséquences de l’élévation des océans, seront-ils supportables par les économies ?

Je vais m’arrêter là monsieur le Président, chers collègues. « Ouf » penserons certains ! Ils auraient bien tort de se sentir soulagés à l’annonce de la fin de mon intervention. Car une fois celle-ci terminée les menaces climatiques vont persister, elles ne s’éteindront pas avec mes paroles ! Les oublier même ne les fera pas disparaître ! Alors c’est d’abord à ceux-là que j’ai envie de dire qu’une collectivité locale comme la nôtre se doit de changer son logiciel et de penser l’avenir en privilégiant un développement économique qui préserve les grands équilibres de la planète, en tête desquels figure la nécessité d’avoir un climat stable. C’est d’ailleurs avec cette vision que la Région Picardie lance aujourd’hui un grand et ambitieux service public de l’efficacité énergétique, initiative que nous applaudissons ! Alors, cherchons la cohérence entre nos actions et osons imaginer une politique du transport aérien qui puisse fixer des limites au trafic compatibles avec les contraintes climatiques.

Je vous remercie.

 
 

M. LE PRÉSIDENT : Monsieur Veillerette, vous avez fait une très belle démonstration, mais empreinte comme d’habitude d’un peu de laxisme au plan intellectuel.

M. PADIEU : Oui, c’est vrai !

M. LE PRÉSIDENT : Quand vous parlez du doublement, vous oubliez de dire que la compagnie la plus importante a modernisé toute sa flotte et qu’on raisonne en nombre d’emports et non pas en nombre de passagers, c’est-à-dire que les avions sont plus capacitaires et moins polluants que ceux qui existaient avant.

Quand vous faites cette belle démonstration, il faudrait la faire « honnêtement ». Je vous rappelle que nous avons deux aéroports en Ile-de-France : Roissy/Charles-de-Gaulle, où on raisonne en nombre de passagers, et Orly, où on raisonne en nombre d’emports, de vols aller-retour, et uniquement. Or à Beauvais, nous avons maintenu le nombre d’emports, ce qui fait que nous avons des avions plus capacitaires.

Je rappelle par ailleurs que la flotte de cette compagnie, puisque vous y faisiez référence, même si ― je ne le nie pas ― elle a quelques soucis sur le plan de sa gestion sociale, s’est plus modernisée en avions qu’Air France, ce qui fait que la pollution est moindre par eux que par d’autres qui ont augmenté le nombre d’emports. Je ne dis pas que, sur le fond, je ne peux pas partager un certain nombre de choses que vous avez dites, mais je trouve que vous avez pris certains raccourcis.

Je rappelle aussi que l’aéroport de Beauvais est l’un des rares aéroports français qui est soumis au couvre-feu et que, pour l’instant, il n’a toujours pas été levé alors que chez d’autres, partout ailleurs, il n’y a pas de couvre-feu.

Je ne dis pas que c’est simple ni que c’est une chose aisée, mais rendre tout noir est quelque chose qui me paraît un tout petit peu exagéré.

Enfin, je rappelle que nous étions partis des voies d’accès et non pas de la gestion aéroportuaire alors que vous en êtes arrivé à la gestion mondiale. Je vous rappelle que nous sommes en commission permanente et non pas en session…

Dans la salle : Si : nous sommes en session !

M. LE PRÉSIDENT : En fin de session… (Rires.) En tout cas, monsieur Veillerette, on est sur le CIR…

Un commentaire pour “« Desserte environnementale » de l’Aéroport Beauvais-Tillé : Intervention de François Veillerette en session”

  1. enfin
    une intervention qui nous donne de l’air;
    car à force de voir partout le « développement durable » cuisiné dans toutes les sauces j’avais commencé à avoir une certaine allergie;
    amitiés
    Evi Ralli

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